Décisions

23/05/2023

Décision TS 2022-24 M. R. D. c. Etat de Monaco

Tribunal Suprême

PDF

Principauté de Monaco 

TRIBUNAL SUPREME

TS 2022-24

 

                                              Affaire :

M. R. D.

                                              Contre :

                                              Etat de Monaco

 

 

DECISION

Audience du 10 mai 2023

Lecture du 23 mai 2023

 

 

Recours tendant, d’une part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 10 janvier 2022 du Ministre d’Etat refusant le transfert du siège social de la société M. R. E. et de la décision du 2 juin 2022 rejetant le recours gracieux formé contre cette décision et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat à indemniser M. D. du préjudice qu’il estime avoir subi en raison de l’illégalité de ces décisions.

 

En la cause de :

Monsieur R. D. ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Charles LECUYER, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-Défenseur ;

 

Contre :

L’Etat de Monaco, représenté par le Ministre d’Etat, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

 

LE TRIBUNAL SUPREME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

 

Vu la requête présentée par Monsieur R. D., enregistrée au Greffe Général le 27 juillet 2022, sous le numéro TS 2022-24, tendant, en premier lieu, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 10 janvier 2022 du Ministre d’Etat refusant le transfert de siège social de la société M. R. E. et de la décision du 2 juin 2022 rejetant son recours gracieux contre cette décision, en deuxième lieu, à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 59.540 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis en raison de l’illégalité de ces décisions et en dernier lieu, à la condamnation de l’Etat aux entiers dépens ;

 

CE FAIRE :

Attendu que Monsieur R. D. est propriétaire de biens immobiliers au sein d’un immeuble dont la construction est antérieure au 1er septembre 1947 ; qu’il y possède un appartement, une chambre de bonne située à l’entresol ainsi que deux caves ; que le 12 novembre 2019, M. D. a sollicité auprès de la Direction de la Prospective, de l’Urbanisme et de la Mobilité l’autorisation de procéder à un changement de destination d’une des caves en bureau ; qu’il a été fait droit à cette demande par une décision du 17 février 2020 ; qu’en décembre 2021, M. D. a souhaité louer le local à la société M. R. E. représentée par son gérant, Monsieur J. R., qui envisageait d’y transférer le siège social de la société ; qu’un contrat de bail signé entre M. D. et la société M. R. E. prévoyait de louer le bureau pour une période de cinq ans à compter du 1er décembre 2021 en contrepartie d’un loyer annuel de 10.200 euros TTC ; que, par ailleurs, il était précisé que « le preneur ne pouvait utiliser les lieux qu’à usage de bureau » ; que le 20 décembre 2021, le comptable de la société M. R. E. a sollicité l’autorisation de transférer le siège social de la société dans l’immeuble ;  que par une décision du 10 janvier 2022, le Ministre d’Etat a rejeté la demande de la société M. R. E. en suivant l’avis défavorable émis par la Direction de l’Habitat ; que la décision précise que « ce logement n’est pas soumis aux dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, par application de son article 1er – 1er tiret, lequel vise les locaux relevant de la loi n° 887 du 25 juin 1970, seule une activité professionnelle sans caractère commerciale peut y être exercée » ; que le 10 mars 2022, M. D. a formé un recours gracieux contre cette décision ; que le 2 juin 2022, le Ministre d’Etat a rejeté ce recours en précisant que les travaux de transformation du local n’étaient pas « de nature à [en] modifier le régime juridique » et que « seule une activité professionnelle sans caractère commercial pouvait [y] être exercée » ;

Attendu qu’à l’appui de sa requête, M. D. soutient que les décisions qu’il attaque lui font grief en sa qualité de propriétaire du local qui devait être donné à bail à la société M. R. E.; que la décision de refus de transfert de siège social, tout comme celle de rejet du recours gracieux, lui causent un préjudice et justifient de sa qualité à agir puisque ces décisions l’ont privé de la perception des loyers ;

Attendu que M. D. soutient, en premier lieu, que les décisions attaquées ne sont pas motivées ; que la référence à un avis défavorable de la Direction de l’Habitat est insuffisante dans la mesure où cet avis n’est ni communiqué, ni reproduit dans le corps des décisions attaquées ; qu’aucune explication sur les raisons et les circonstances pour lesquelles le logement loué serait soumis aux dispositions de la loi n° 887 ne figure dans les décisions attaquées ; qu’il s’en déduit que ces décisions méconnaissent les exigences de motivation énoncées par la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 ;

Attendu que M. D. allègue, en deuxième lieu, que les décisions attaquées sont entachées d’une erreur de droit ; que dans le cadre de l’organisation de l’habitation en Principauté divisée en secteurs, les appartements de son immeuble relèvent du secteur libéralisé ; qu’il résulte des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 qu’une distinction doit être faite au sein de ce secteur entre les appartements dont les conditions de location doivent être visées par la Direction de l’Habitat conformément aux dispositions de la loi n° 877 du 25 juin 1970 et ceux dont les conditions de location sont similaires au secteur libre ; que par ailleurs, les locaux de toute catégorie affectés pour la première fois à la location à compter du 25 juin 1970 bénéficient du régime de droit commun par application des dispositions de la loi n° 888 du 25 juin 1970 ; que le bureau loué à la société M. R. E. relève du régime de droit commun pour ce motif, le bien ayant été proposé à la location pour la première fois en 2021, soit postérieurement au 25 juin 1970 ; que les décisions attaquées n’ont pas fait application de la règle de droit adéquate ; que c’est à tort que l’Administration a appliqué la loi n° 887 du 25 juin 1970 alors qu’elle aurait dû se fonder sur la loi n° 888 du même jour qui permet de classer le local dans le régime de droit commun ; que par une décision n° 2011-1 du 17 juin 2011, Sieur G.M. c/ Ministre d’Etat, le Tribunal Suprême a jugé que « les locaux affectés pour la première fois à la location par leur propriétaire à compter du 25 juin 1970 relèvent ainsi du droit commun, quelle que soit leur catégorie » ; qu’il s’en déduit que les appartements, toutes catégories confondues, qui avaient été occupés par leurs propriétaires avant le 25 juin 1970 et n’avaient jamais été loués sont exclus du secteur réglementé par la loi n° 887 du 25 juin 1970 ; que tel est le cas du bureau, constamment occupé par son propriétaire jusqu’à ce que le bien soit proposé à la location en 2021 ; qu’il est fait état, au surplus, de l’existence de caves situées dans la même résidence et appartenant à son frère, lequel les loue à des sociétés commerciales ;

Attendu que M. D. fait valoir, en dernier lieu, que l’illégalité des décisions qu’il attaque lui a causé un préjudice financier important dont il entend solliciter l’indemnisation ; que le refus d’autoriser le transfert de siège social de la société M. R. E. a empêché la perception de loyers sur une durée de cinq ans ; qu’il en résulte, pour le requérant, une perte de revenus qu’il évalue à 54.000 euros au titre du préjudice financier subi ainsi que 5.000 euros au titre de ses frais de justice ; qu’il sollicite, par ailleurs, le remboursement au locataire des frais d’enregistrement, soit une somme de 540 euros ; qu’ainsi, il demande au Tribunal Suprême de condamner l’Etat de Monaco à lui verser la somme totale de 59.540 euros ;

 

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 26 septembre 2022, par laquelle le Ministre d’Etat conclut au rejet de la requête ainsi qu’à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d’Etat conclut, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête ; qu’en effet, M. D. est dépourvu d’intérêt à agir contre une décision individuelle concernant la société M. R. E. ; que cette dernière s’est d’ailleurs abstenue de déférer devant le Tribunal Suprême la décision de refus la concernant ; que si, dans certaines situations, comme en matière de refus de permis de construire, un tiers peut se voir reconnaître un intérêt à agir suffisant pour solliciter, seul, l’annulation d’un refus d’autorisation qui ne lui a pas été personnellement opposé, il est nécessaire qu’une condition suspensive stipulée dans un contrat de vente soit en vigueur à la date à laquelle l’autorisation de construire a été refusée ; qu’en l’espèce, le bail à usage de bureau signé par M. D. et la société M. R. E. ne comportait pas de condition suspensive ; que sa prise d’effet n’était pas subordonnée à l’autorisation de transférer le siège social de la société M. R. E., le contrat précisant simplement que « le preneur ne pourra utiliser les lieux loués qu’à usage de bureau » ; qu’ainsi, les décisions attaquées refusant à la société M. R. E. le transfert de son siège social n’ont causé aucun grief à M. D. ; qu’il est, par conséquent, dénué d’intérêt lui donnant qualité pour agir devant le Tribunal Suprême dans la présente instance ;

Attendu que le Ministre d’Etat conclut, à titre subsidiaire, à l’absence de bien-fondé de la requête ;

Attendu que le Ministre d’Etat estime, en premier lieu, que contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, les décisions attaquées sont motivées ; que la décision du 10 janvier 2022 mentionne l’avis défavorable de la Direction de l’Habitat et précise que selon cet avis, le logement en cause n’est pas soumis aux dispositions de la loi n° 1 235 du 28 décembre 2000 et que seule une activité professionnelle sans caractère commercial peut y être exercée ; que la décision du 2 juin 2022 précise que le changement d’affectation de la cave en bureau ne modifie pas son régime juridique ; que ce dernier demeure un local accessoire à l’appartement possédé par M. D. ; que cet appartement relève des dispositions de la loi n° 887 du 25 juin 1970, ce qui fait obstacle à ce qu’une activité professionnelle ayant un caractère commercial puisse y être exercée ; que le local litigieux a fait l’objet d’un classement en vertu de l’Ordonnance Souveraine n° 77 du 22 septembre 1949 relative au classement et au prix de location des immeubles d’habitation ; qu’à ce titre, il rentre dans le champ d’application des dispositions de la loi n° 887 du 25 juin 1970 ; que les dispositions de cette loi font obstacle, pour les locaux d’habitation, à l’exercice de toute activité commerciale ; que cette prohibition était déjà énoncée par l’article 37 de l’Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiant et codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d’habitation ; qu’elle est réaffirmée par l’article 2 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 qui prévoit que « les locaux soumis à la présente loi peuvent être affectés à l’exercice d’une activité associative ou professionnelle non commerciale. L’exercice de l’une de ces activités est soumis à l’accord préalable du propriétaire et ne doit pas être interdit par le règlement de copropriété » ; que la législation monégasque est fondée de manière constante sur le principe selon lequel une activité commerciale ne peut être exercée dans un local d’habitation situé dans un immeuble construit ou achevé avant le 1er septembre 1947 ; qu’au surplus, la décision du Tribunal Suprême invoquée par le requérant ne remet pas en cause l’existence de ce principe ; que dans cette affaire, le Tribunal s’est prononcé sur le régime d’exception, prévu par l’Ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959, pour un local d’habitation « nouvellement soumis à la location à usage d’habitation » ; qu’il ne s’est nullement prononcé sur la question de savoir si une activité commerciale pouvait être exercée dans un local affecté à l’habitation dans un immeuble construit ou achevé avant le 1er septembre 1947 ;

Attendu que le Ministre d’Etat fait valoir, en deuxième lieu, que c’est à tort que M. D. invoque à son profit, pour la première fois devant le Tribunal Suprême, les dispositions de la loi n° 888 du 25 juin 1970 ; qu’en effet, cette loi ne fait pas bénéficier du régime de droit commun les locaux affectés pour la première fois à la location à compter du 25 juin 1970 ; qu’elle a abrogé les dispositions insérées sous le chiffre 1 de l’article 1er de l’Ordonnance-loi du  17 septembre 1959, ce qui a eu pour effet de libérer les locaux nouvellement affectés à la location à usage d’habitation sans remettre en cause le principe posé par l’article 37 de la même Ordonnance-loi selon lequel aucune activité commerciale ne peut être exercée dans un local à usage d’habitation dans un immeuble construit ou achevé avant le 1er septembre 1947 ;

Attendu que le Ministre d’Etat soutient, en dernier lieu, que les conclusions indemnitaires de M. D. doivent être rejetées ; que les préjudices invoqués par le requérant ne sont ni directs ni certains ; que les décisions attaquées étant des décisions individuelles intervenues en réponse à une demande d’autorisation présentée par un tiers, elles ne concernent pas M. D. ; que les pertes de loyers ne peuvent être imputées aux décisions attaquées dès lors que le projet de contrat de bail ne faisait nullement mention de la possibilité pour le preneur d’exercer une activité commerciale dans les locaux ; que, de surcroit, le contrat de bail stipulait que « le preneur ne pourra utiliser les lieux loués qu’à usage de bureau » ;

 

Vu le mémoire, enregistré au Greffe Général le 26 octobre 2022, par lequel M. D. déclare, en application de l’article 27 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963, se désister de son recours et demande au Tribunal Suprême de lui donner acte de ce désistement ;

 

Vu le mémoire, enregistré au Greffe Général le 7 novembre 2022, par lequel le Ministre d’Etat déclare ne pas s’opposer au désistement et demande au Tribunal Suprême d’en donner acte ;

 

SUR CE :

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l’Ordonnance du 28 juillet 2022 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 10 novembre 2022 ;

Vu l’Ordonnance du 4 avril 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l’audience de ce Tribunal du 10 mai 2023 ;

Ouï Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Charles LECUYER, Avocat-Défenseur, pour Monsieur D. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d’Etat ;

Ouï Madame le Premier Substitut en ses conclusions tendant à ce qu’il soit donné acte du désistement de M. D. ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

 

APRES EN AVOIR DELIBERE

1. Considérant que Monsieur R. D. a formé devant le Tribunal Suprême un recours tendant, d’une part, à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 10 janvier 2022 du Ministre d’Etat refusant le transfert du siège social de la société M. R. E. et de la décision du 2 juin 2022 rejetant son recours gracieux formé contre cette décision et, d’autre part, à la condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice financier qu’il estime avoir subi en raison de l’illégalité de ces décisions ainsi que de ses frais de justice ; que, par un mémoire enregistré au Greffe Général le 26 octobre 2022, il a déclaré se désister de ce recours ;

2. Considérant que le Ministre d’Etat déclare ne pas s’opposer à ce désistement ; que le désistement est pur et simple ; qu’il y a lieu d’en donner acte ;

 

DECIDE : 

Article 1er : Il est donné acte du désistement de Monsieur R. D.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de Monsieur D.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’Etat.

 

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l’Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Vice-président, et Philippe BLACHER, Membre titulaire, rapporteur,

et prononcé le vingt-trois mai deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Chevalier de l’Ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

 

Le Greffier en Chef,                                               Le Vice-Président,

par délégation du Président,